dimanche 25 janvier 2009

Le vieil homme qui attendait...

Le vieil homme était assis près de la fenêtre, sur une chaise en paille. Sur ses genoux un gros chat roux, les yeux clos, dormait. De temps à autre, sans détourner son regard le vieil homme caressait l’animal. Alors ce dernier relevant la tête se mettait à ronronner sans toutefois ouvrir l’œil.
Le vieil homme n’abandonnait sa chaise et son chat que pour ajouter une bûche dans l’âtre de la cheminée, lorsque les flammes mourraient à petit feu. Le chat alors dérangé sautait à terre avant de s’étirer tel un accordéon. Puis il s’en allait manger quelques croquettes ou bien jouer avec son bouchon de liège gisant inanimé sous la table.
La cheminée crépitant de nouveau, le vieil homme revenait s’asseoir. Son chat le rejoignait quelques instants plus tard, lorsque la chasse au bouchon ne l’amusait plus ou bien lorsque ce même bouchon avait filé sous le buffet hors de portée de ses griffes.
Ainsi tout deux reprenaient leur occupation, invariablement, le chat à dormir paisiblement, le vieil homme à guetter, à attendre, à L’attendre, chaque jour sans répit, ne sachant pas quand elle reviendrait.
Pour ne pas manquer ces retrouvailles le vieil homme ne sortait quasiment jamais de chez lui durant l’hiver. Il restait là prostré, se levant tout juste pour aller aux toilettes, passant ses nuits derrière le carreau. Une aide à domicile faisait ses courses et son ménage de sorte qu’il n’ait pas à bouger de sa chaise.
Attendre derrière ce carreau embué et se souvenir, quelques larmes au coin des yeux. Se souvenir de sa femme avant que la maladie ne l’arrache à lui, se souvenir de ces longues promenades hivernales qu’ils faisaient tout les deux emmitouflés dans leur amour lorsque tombait la neige. Et surtout ne jamais oublier cette promesse qu’il lui avait faite de venir la chercher lorsque l’hiver tomberait la neige. Il savait que ce jour là elle l’attendrait. Elle lui avait dit avant de s’en aller, avant que la mort ne glace éternellement son cœur pourtant si heureux.
Mais depuis cette séparation forcée il n’avait plus jamais neigé. Cela rendait le vieil homme mélancolique, même si l’espoir demeurait toujours au plus profond de son être, cet espoir qui le maintenait en vie.

Un matin d’hiver le vieil homme fut dérangé dans sa solitude. Une dame élégante, un peu plus jeune que lui sans doute, vint frapper à son carreau. Le vieil homme surpris de cette visite et peu habitué à recevoir, encore moins une dame, se vit contraint de l’inviter à entrer. Il lui offrit l’âtre de sa cheminée pour se réchauffer car la dame était toute frigorifiée, endimanchée et peu vêtue qu’elle était. Le vieil homme quitta son poste pour lui proposer un café mais elle refusa. Il lui demanda alors ce qui la menait chez lui. Elle lui répondit, la voix tremblante, qu’elle était simplement venue pour lui dire qu’elle l’aimait. Elle éprouvait ce sentiment depuis fort longtemps mais n’avait jamais osé le lui dire, surtout qu’elle savait le vieil homme marié. Depuis qu’elle avait appris le décès de sa femme elle s’était dit qu’un jour elle viendrait le voir pour lui avouer sa flamme. Le temps avait passé et après bien des années elle s’était finalement décidée. Elle lui dit qu’elle voulait vivre avec lui sans plus tarder, qu’elle voulait qu’il la suive, qu’il quitte cette maison pour une plus agréable, plus confortable. Elle était aisée et pourrait lui offrir tout ce qu’il désirerait.
Le vieil homme de nouveau surpris ne su quoi répondre, car même si sa femme n’était plus là il l’aimait encore sans faillir et il s’était toujours refusé à ouvrir son cœur à une autre. De plus sa vie lui suffisait, il n’avait pas de besoins qu’il ne puisse satisfaire sans quémander.
Le silence s’installa entre eux, rythmé par le tic tac de l’horloge et entrecoupé par le bois crépitant dans la cheminée.
Le vieil homme tourna un instant la tête et regarda dehors au travers de ce carreau qu’il avait usé tant de fois. Le ciel était gris, bas et il se rendit compte qu’il neigeait. Le temps qu’il s’occupe de cette intruse, le temps qu’elle accapare son attention, la neige s’était mise à tomber, à son insu, alors qu’il l’avait guetté vainement sans faillir des hivers entiers. Il se leva et colla son nez à la fenêtre. D’épais flocons venaient frapper la vitre comme pour l’inviter à leur bal. Il tendit le cou. La petite place jouxtant sa maison était toute blanche, les arbres dénudés de leur feuillage se paraient de guirlandes argentées. Le visage du vieil homme si morose s’illumina alors. Enfin, la voici celle qu’il attendait depuis si longtemps !
Oubliant impoliment sa visiteuse il fila sans tarder s’habiller chaudement. Et il allait sortir lorsque la dame le retint par le bras. Elle insista de nouveau pour qu’il la suive. Reposant un instant ses yeux sur cette étrange inconnue le vieil homme se rendit compte qu’il ne la connaissait même pas de vue. Comment pouvait elle alors le connaître ?
La dame renouvela son invective plus sèchement. Alors le vieil homme comprit. Et il su en même temps qu’il n’avait finalement pas d’autre alternative. Il lui demanda toutefois qu’elle le laisse tenir sa promesse, qu’elle le laisse aller chercher sa femme pour leur ultime ballade.
La dame relâcha son étreinte et le vieil homme fila derrière la petite église, poussa la grille du cimetière, ses pieds s’enfonçant dans quelques centimètres de poudreuse. Les tombes semblaient toutes identiques sous ce voile laiteux, aussi il n’était pas facile de s’y repérer pour quelqu’un de passage.
Mais peu importe car à quelques encablures de lui une femme l’attendait, debout près d’un caveau. Son visage était radieux, sa robe se confondait avec le paysage. Le vieil homme s’approcha et elle lui prit le bras. Ainsi enlacés, l’un contre l’autre, ils partirent sans se retourner et disparurent par la grille du cimetière.

Le gros chat roux dort paisiblement sur sa chaise. Son maître n’est pas là mais cela ne l’intrigue pas outre mesure. Dans l’âtre de la cheminée gisent quelques charbons que personne n’a pris soin de retirer. Sur la table des papiers sont étalés en désordre.
Dehors le ciel est gris et bas. Une pluie de flocons s’échappe des nuages argileux pour tomber sur le sol, refroidissant un peu plus la nature. Dans une heure ou deux un nouveau tapis de neige recouvrira le précédent et ce qui ne l’était pas encore. Notamment derrière la petite église où se pressent quelques badauds venus saluer une dernière fois, ce parent, cet ami, cette connaissance qu’on enterre aujourd’hui.
La neige accompagne le nouveau défunt dans son ultime demeure, sous quelques pelles de terre, à l’abri du froid, vers un prochain oubli. Qu’importe, pour lui à présent, il n'a plus besoin d'attendre...